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Brève présentation biographique

Un document datant d’il y a quelques années trouvé dans les archives de l’auteur atteste que ce dernier, une fois au moins, sans doute pour répondre à la question d’un auditeur qui l’interrogeait sur sa naissance, a jugé bon, non sans malice, de situer cet évènement par rapport à des évènements historiques permettant, selon lui, d’en rehausser l’extrême importance. Sa réponse fut alors celle-ci.

Michel Fromaget, 2013.

« Je vis le jour au cœur de la nuit, le 10 mars 1947. Je n’avais rien demandé. Cette naissance manqua me coûter la vie ainsi que celle de ma mère biologique qui en réchappa de justesse. L’évènement se déroula à Bordeaux, port de mer en pays viticole, exactement 2188 ans après l’ultime bataille navale qui consacra la victoire définitive de Rome sur Carthage. Je note aussi qu’il advint quatre siècles et 84 ans après la clôture du concile de Trente dont la coupable allégeance au thomisme, bientôt secondée par l’anthropologie contestable de Descartes (1596-1650), allait verrouiller définitivement l’homme occidental dans la funeste prison de son corps et de son âme, de son corps et de son mental. Je naquis, donc, dans un milieu éduqué selon cette conception dualiste de l’homme laquelle, – n’authentifiant que ses dimensions physique et psychologique -, d’une part ne lui enseigne à construire, penser, vivre sa personne et son humanité que sur ce seul canevas binaire et qui, d’autre part, du même coup, en conceptualisant à marche forcée la Création jusque dans son grain le plus fin, le coupe hermétiquement du monde sans état d’âme, ni possibilité de retour. A moins d’un miracle ! »

Michel Fromaget, en 1951, arrive à Pau où son père médecin ouvre un cabinet de dermatologie. Il passera là toute son enfance et le début de son adolescence. En 1952, il entre en 11ème au lycée Louis Barthou qu’il quittera, bien obligé, en fin de 3ème en 1961. Son père vient, en effet, d’être nommé médecin conseil de la sécurité sociale de Caen en Normandie. De sa période paloise, M. Fromaget gardera le souvenir de multiples états de grâce, de multiples « heures étoilées » et émerveillements nés de la contemplation de la nature et de la fréquentation des animaux (la maison familiale d’alors bénéficiait d’un grand parc). Cependant, ce souvenir bienheureux se double d’un autre qui l’est bien moins puisque semblable à un triste ciel de nuages annonçant l’hiver et la pluie. Ce souvenir n’est autre que celui de l’enseignement reçu au lycée Louis Barthou. Celui d’un enseignement formaté par le tragique dualisme anthropologique signalé plus haut. A ce sujet, M. Fromaget rapporte avoir nourri à l’endroit de l’école, dès le tout début de son adolescence, les mêmes sentiments qu’Hölderlin écrivant dans Hypérion : « Que n’ai-je pu éviter le seuil de vos écoles ! La science que j’ai suivie au fond de ses labyrinthes, dont j’attendais, dans l’aveuglement de ma jeunesse, la confirmation de mes plus pures joies, la science m’a tout corrompu »

Juin 1961, Michel Fromaget arrive à Caen accompagné de ses frères et sœur (Denis né en 1948, Jean-Pierre né en 1955, Catherine née en 1957). Si ces derniers ne semblent pas avoir particulièrement souffert de leur exil normand, tel ne fut pas le cas de leur ainé qui se vit obligé de quitter pour toujours, non seulement des ami(e)s aux quel(le)s il était profondément attaché, mais aussi ce parc dont, pendant plus de dix ans, les arbres et les fleurs, les scarabées et les abeilles, ainsi que les Pyrénées aperçus en filigrane, le comblèrent, comme on sait, de ravissements mémorables. En un mot, il vécut son arrivée en Normandie comme un drame déchirant, comme une chute, dont il ne se relèverait pas. Ce sentiment catstrophique, né de la sûre intuition que, durant son exil dans le Nord, il ne bénéficierait plus d’aucune grâce d’émerveillement (ce qui fut effectivement le cas), ce sentiment sinistre fut dès les premiers temps, considérablement renforcé par l’obligation de poursuivre des études secondaires au Lycée Malherbe de Caen, lycée dont l’architecture bétonnée et l’ambiance interne réussissaient, selon lui,  » la triple performance d’évoquer simultanément celles d’une usine, d’une caserne et d’une prison ». Comme on peut bien le penser, le savoir officiel dispensé dans cette « Bastille » ne sut que conforter Michel Fromaget dans son aversion première pour l’école. N’aidant en rien à répondre aux trois questions essentielles que se pose tout adolescent, – « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? » – l’acquisition de ce savoir lui permit certes, en 1965, d’obtenir le titre de bachelier qui garantissait son entrée à l’Université mais sans lui avoir mis en main aucun repère ni aucune valeur susceptible de l’aider à construire sa vie et lui donner un sens élevé. En fait, à sa sortie du lycée, le dénuement de Michel Fromaget était tel qu’en désespoir de cause il opta pour des études d’économie « au motif d’une indigence abyssale qu’elles, au moins, lui permettraient de gagner de l’argent ».

C’est donc sous le coup de ce raisonnement « consternant » qu’il entame alors un cycle de cinq années d’études lequel, après qu’il eut obtenu une licence et un D.E.S de Sciences économiques, lui permit de devenir en 1970 assistant, dans cette même spécialité, à l’Université de Caen. Mais, extrêmement déçu (parce que, comme il l’a dit lui-même, « il était encore très naïf ») par le vide anthropologique sous-jacent à ces sciences, et frappé par l’évidence qu’il ne pourrait sans risque consacrer sa vie à enseigner des disciplines au sein desquelles « il asphyxiait littéralement », il décida de se lancer dans un cursus de Sciences dites « humaines » susceptible d’étancher l’immense curiosité et la non moins forte soif de vérité qui étaient devenus, depuis quelques temps déjà, les grands moteurs de sa vie. C’est ainsi que Michel Fromaget entama en 1970 un nouveau cycle d’études qui l’incita à suivre une psychanalyse (freudienne, par manque d’analystes jungiens à proximité) et lui permit d’obtenir successivement une licence de Sociologie, une licence de Psychologie, une maîtrise de Psychologie sociale, un doctorat dans la même discipline et enfin, en 1981, un doctorat ès Lettres et Sciences humaines. Fait important : les sujets de ces doctorats, tous deux relatifs aux conceptions de la mort, étaient considérés comme relevant de l’anthropologie (sociale). De ce dernier cycle d’études, Michel Fromaget a écrit :

« Je ne suis nullement fier de ce parcours qui témoigne de mes hésitations et d’une évidente instabilité. Je lui concède cependant de prouver une certaine ténacité (je ne lâchais aucun programme d’étude avant d’avoir obtenu le diplôme correspondant) ainsi qu’une curiosité intellectuelle à laquelle je dois, sinon tout, du moins beaucoup »

Le cours de la décennie 1971-1981 fut, d’autre part, le temps des évènements familiaux suivants : mariage en 1966 avec Nadine née Tirard, naissance en 1967 de Cédric, en 1973 de Laetitia, en 1980 de Benjamin (décédé à l’âge de trois mois), en 1981 de Jérémie. En marge de ces derniers évènements on pourra remarquer : l’arrivée de deux chattes européennes, l’une noire à poils courts, l’autre grise à poils longs, la nomination de Michel Fromaget comme Maître de conférences en Psychologie sociale, l’arrêt de sa psychanalyse freudienne (pour cause d’après l’intéressé : « de noyade de l’analyste due à l’incontinence onirique de l’analysé »), son amitié pour le catharisme ainsi que l’achat dans le Razès d’un authentique château cathare (en ruine), la ferme décision de partir dès que possible, et pour plusieurs années, en Afrique noire en vue de mener des recherches et études de thanatologie sur le terrain. Il s’avérait, en effet, que la perspective très académique, conceptuelle et rationnelle des travaux de doctorat qu’il avait menés ne satisfaisait pas pleinement Michel Fromaget qui, au vrai, était en quête d’une compréhension plus concrète et vivante, plus approfondie et complète de l’imaginaire traditionnel de la mort qu’il avait jusqu’ici étudié de manière, somme toute, assez abstraite, théorique et lointaine.

En octobre 1981, il part au Gabon accompagné de sa famille et de son chat siamois William. Le Gabon : Pays de forêt équatoriale, pays des pygmées et des mambas noirs, pays de la drogue Iboga et du mystérieux Bwiti. A Libreville, à l’Université Omar Bongo, il est nommé responsable du Département de psychologie et enseigne les techniques quantitatives appliquées aux Sciences humaines. Rapidement, par l’intermédiaire de ses étudiants dont il est dès le début très proche, deux opportunités de recherches s’ouvrent à lui, dont la seconde revêt un intérêt exceptionnel. La première consistait à participer, en vue de collecter des données fiables, au culte du Mbumba-Yiyano (génie en quelques points comparable à l’Ange gardien des monothéismes) tel qu’il est pratiqué par l’ethnie des Myéné dans les environs de Libreville. La seconde autorisait Michel Fromaget à suivre chez les Mitsogho du centre du Gabon le parcours initiatique permettant, grâce à la consommation d’Iboga, d’entrer en contact avec le Dieu de la religion Bwiti. Le parcours, sur le plan santé, n’était pas sans risque mais, contrairement à celui du Bwiti des Fang, celui des Mitsogho n’avait jamais été étudié de manière approfondie. Michel Fromaget s’investit donc rapidement et simultanément dans ces deux tâches. Mais, hélas ! deux ans à peine après son arrivée, son dernier enfant, Jérémie âgé d’un an, s’habituait si mal au climat équatorial, qu’il se vit obligé de revenir définitivement en métropole. La déception est immense. Vingt ans après, elle ne fut pas sans lui rappeler celle suscitée par le début de son exil en Normandie.

Octobre 1983 : retour à la case départ, soit l’Université de Caen, sous un ciel gris et pluvieux. Michel Fromaget n’a guère d’autre choix que de continuer à enseigner des matières qui ne l’intéressent guère. Il s’investit dans l’écriture d’articles présentant et analysant ses observations recueillies chez les Myéné et les Mitsogho. Ces articles paraîtront dans différentes revues d’ethnologie africaine et d’anthropologie générale, mais la manne collectée n’est pas inépuisable. Les hivers 83 et 84 sont rudes, l’avenir dépourvu de tout attrait.

Quand, en 1985, sans nullement prévenir, l’incroyable se produit. La “grâce” – à laquelle Michel Fromaget pensait devoir les instants privilégiés qui avaient enchanté sa jeunesse – se manifeste de nouveau : par la voix d’un prêtre ami, elle lui intime de rendre visite dans le centre de la France, au milieu d’un pays constellé d’étangs et de forêts, à une femme réputée pour sa profonde intelligence du christianisme. Celle-ci travaille à aider les plus défavorisés dans un esprit et des circonstances qui, étrangement, ne sont pas sans rappeler à Michel Fromaget le culte du Mbumba-Yiyano qu’il a commencé à étudier chez les Myènè gabonais. L’injonction étant pressante, Michel Fromaget ne tardera guère à rencontrer cette personne. Alors  se produisit cet évènement extrêmement mystérieux qui transformera profondément et définitivement sa manière de penser et sa vie : le tout premier contact avec cette chrétienne, contact qui dura le temps d’un regard et d’une ou deux paroles, suffira en un éclair à le convaincre sans retour que la faculté et le phénomène de la transfiguration – dont il avait connaissance grâce aux évangiles ne sont pas, comme il avait pu le penser jusqu’alors, uniquement réservés à Jésus-Christ, mais aussi offerts à tous les hommes dans l’instant même où leurs âmes deviennent suffisamment transparentes à Dieu. L’évidence de ce que Michel Fromaget comprit ainsi lui apparut alors, comme il le dira plus tard : « aussi concrète et sûre que l’air qu’il respire, l’eau qu’il boit, le pain qu’il mange ».

Bien entendu, une révélation concernant la nature humaine aussi catégorique et abrupte ne pouvait aller sans pulvériser, sinon la totalité, du moins la plupart des fondements sur la base desquels Michel Fromaget avait jusqu’ici, sous la pression de son milieu et de son éducation, compris et construit sa personne et sa vie. Et tel fut bien le cas. D’où la nécessité d’une reconstruction qui fut lente et parfois douloureuse, mais toujours protégée et encouragée dans ses moments les plus difficiles par la grâce retrouvée « d’heures étoilées » réconfortantes ainsi que par la survenue de « synchronicités » décisives. Parmi ces dernières, l’une demande à être ici mentionnée. A savoir, peu après la rencontre par Michel Fromaget de sa « Mère spirituelle », sa découverte de l’œuvre majeure de saint Irénée : Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, ouvrage plus connu sous le nom de Contre les hérésies, écrit à la fin du IIè siècle. A maints égards ce livre, qui peut être tenu pour le premier traité d’anthropologie chrétienne, prouve et illustre de manière remarquable combien cette anthropologie, loin d’être dualiste, comme on a pu le croire, était dès l’origine manifestement et foncièrement ternaire. En fait la compréhension de ce livre, aidée par les commentaires d’un exégète avisé, s’avéra peu à peu aux yeux de Michel Fromaget comme le complément providentiel, nécessaire et décisif de sa metanoïa qui, de peu, la précéda. Au sujet de cette lecture, il a écrit dans un fragment d’autobiographie non publiée :

« Dans les jours qui suivront mon éveil, le Ciel me gratifia d’une nouvelle rencontre mémorable : celle de saint Irénée qui vivait au second siècle et de son grand livre « Contre les Hérésies ». Pour l’anthropologue que j’étais ce fut là une révélation cruciale. Ce saint a, en effet, les clés de l’anthropologie ternaire « corps, âme, esprit » et il me les donne dès mes premières approches. A la lumière de ce don la profondeur abyssale de l’Evangile commence à se laisser entrevoir ainsi que la mesure démesurée du bouleversement qu’un seul regard de femme a su produire en moi. Je commence à ne plus me confondre avec qui je croyais être et ne suis pas. Le parcours énigmatique de ma vie antérieure commence à prendre un sens. De là vient la gratitude immense que j’éprouve pour saint Irénée et aussi le vœu que je formulais alors, auquel je me suis jusqu’ici tenu, de m’attacher prioritairement à mieux comprendre et expliquer la conception lumineuse et salutaire qui distingue en l’homme « son corps, son âme, son esprit ».          

         J’avais, au préalable, déjà publié quelques dizaines d’articles dans différentes revues de sciences humaines et de sciences religieuses où ils avaient été reçus sans problème. Or, la première étude marquée par l’empreinte de ma foi en la conception ternaire de l’être humain est immédiatement refusée. Et il en ira de même des suivantes. Le vrai chemin spirituel commence. Pour le monde, je ne suis maintenant plus du monde. Dès lors, sauf rares exceptions, je serai soigneusement tenu à distance des colloques universitaires. Les instances dirigeantes de ma famille désavoueront mes travaux sans état d’âme, mes amis feront mine d’y rien comprendre et l’Eglise catholique romaine continue jusqu’à maintenant de me considérer comme éminemment suspect. »

Aujourd’hui, soit donc quelques trente-huit ans après avoir reçu la grâce de sa conversion, grâce qu’il situe au mitan de sa vie, Michel Fromaget demeure fidèle à son vœu de sensibiliser ses compagnons d’infortune à l’étincelante conception anthropologique qui distingue, en l’homme, sans nullement les séparer et qui unit, en l’homme, sans nullement les confondre : son corps, son âme et son esprit. A la faveur d’une quinzaine de livres et de plus de deux cents conférences il s’est tout spécialement appliqué à faire connaître cette anthropologie telle qu’elle se déploie dans le christianisme originel ainsi que dans l’œuvre de deux penseurs modernes, immenses et méconnus : Nicolas Berdiaev (1874-1948) et Maurice Zundel (1897-1975).

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